René-Pierre Roussel
– LE GENTLEMAN GAMBLER
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Intégrité et respect. Les mots reviennent comme des leitmotivs dans la bouche de l’homme d’affaires René-Pierre Roussel.
Et à voir le succès du Groupe Canva, une référence dans le monde de l’imprimerie, la formule semble fonctionner, très bien merci.
«C’est important l’ambition pour un entrepreneur. Il faut rêver, c’est ce qui nous garde allumés. La journée où l’on arrête de rêver, on commence à s’éteindre.»
Voilà, le ton est donné. René-Pierre Roussel, chef de la direction du Groupe Canva, ne s’en cache pas: il est un compétiteur-né, qu’il soit derrière un bureau ou sur un vélo, à grimper les côtes de Charlevoix. «Moi, je carbure au défi beaucoup plus qu’à l’argent et au prestige. Je n’ai pas besoin d’avoir une Ferrari dans ma cour.»
Bâti d’une seule pièce, René-Pierre Roussel donne toujours l’heure juste, peu importe son interlocuteur. «Mes employés n’ont pas peur de me dire ce qu’ils pensent. Moi non plus. La transparence est bénéfique pour les deux parties. Il n’y a rien de pire pour un entrepreneur que des conseillers qui font juste te flatter le dos. On n’a pas besoin de mitaines.»
Le train-train quotidien, les problèmes de gestion, très peu pour René-Pierre Roussel. Mais parlez-lui d’une acquisition, et les poils lui retroussent. «Le jeu de la négociation, c’est ce qui me motive. Établir le bon plan de match. C’est un jeu d’échecs. Je suis passionné par le monde des affaires plus que par l’entrepreneuriat, je crois.»
René-Pierre Roussel
Rien d’étonnant dans les circonstances que l’histoire du Groupe Canva, chef de file dans le domaine de l’imprimerie industrielle et commerciale, en soit une d’acquisition. 16 au total depuis la création de l’entreprise en 2004. C’est beaucoup. Assez pour imaginer René-Pierre Roussel comme le roi des acquisitions ? «Non, pas vraiment, répond-il du tac au tac avec la franchise qui le caractérise. Mais je suis dans la bonne moyenne.»
Le secret pour réussir une acquisition? «Éviter de tomber en amour avec un dossier. De se laisser aveugler par une liste de clients ou par le marché. Il faut bien faire ses devoirs. Nous, quand on achète une entreprise, ce n’est pas pour restructurer, faire des coupures. Au contraire. C’est pour la faire grandir.»
René-Pierre Roussel est fier du chemin parcouru. D’être passé de 15 employés et 2 millions de chiffres d’affaires à plus de 70 millions et 400 employés. D’avoir traversé des cycles économiques, des faillites de concurrents, de clients principaux, et bien sûr, d’avoir terrassé le monstre: la Covid. «Mais ce qui me rend le plus fier, c’est qu’on a grandi avec éthique et respect. On n’a jamais tourné les coins ronds.» L’homme, aussi combatif puisse-t-il être, ne fonctionne ni aux menaces, ni aux coups de poing sur la table. «Moi, je crois beaucoup au win-win.»
Une partie de l’équipe de direction lors de l’acquisition de Intergraphics à Winnipeg.
Les affaires, René-Pierre Roussel est tombé dedans quand il était petit. Originaire de Le Goulet, un petit village de pêcheurs du Nouveau-Brunswick, il a grandi dans une famille d’entrepreneurs, spécialisée dans la transformation de fruits de mer. Trop loin à son goût dans la hiérarchie successorale, le regard du jeune René-Pierre s’est rapidement tourné vers de nouveaux horizons.
Après un MBA aux HEC, il est embauché comme analyste à la Caisse de dépôt et de placement du Québec où il se fait les dents. Il profite de ce poste d’observation incomparable pour analyser les entreprises. Il fait le saut dans une boîte techno où il rencontre son associé actuel, son alter ego, Hugo Leclair, qui partage le même rêve de se lancer en affaires. «Hugo était beaucoup plus analytique. Moi, j’étais plus dans l’action.» Les deux font la paire. Parfaite.
Les amis se mettent en chasse d’une entreprise à acquérir. Une compagnie de sérigraphie industrielle à Boucherville leur tombe dans l’œil. Ils ne connaissent rien de ce marché. Par chance, l’entreprise est bien structurée, huilée à la perfection. MIeux encore, le directeur de production, Stéphane Labonté, qui deviendra l’un de leurs partenaires, est un ami d’enfance d’Hugo Leclair. Tout pour se poser en douceur sur le terrain des affaires. La suite, elle, appartient à l’histoire.
René-Pierre Roussel est un homme fidèle. Fidèle à ses partenaires. Fidèle en amitié. Fidèle à ses convictions. Travail d’équipe, respect, performance, l’homme incarne parfaitement les valeurs que l’entreprise s’est données.
«À la base, je suis quelqu’un d’assez terre à terre, explique-t-il. Mais faire des acquisitions, c’est addictif. Plus l’entreprise grandit, plus on a l’impression d’avoir réussi. Tu finis par te penser invincible. Et c’est dangereux. C’est ce qu’on appelle le paradoxe d’Icare. Tu as l’impression de pouvoir voler tellement haut que tu te brûles les ailes.»
À son avis, l’ego est le pire ennemi de l’entrepreneur. L’émotionnel l’emporte alors sur le rationnel. «Tu risques de prendre de mauvaises décisions basées sur l’image que tu veux projeter. Il faut garder intacte ta capacité de questionner ton modèle d’affaires passé pour profiter d’opportunités ou pour s’adapter aux changements économiques.»
«[…] c’est en vélo que j’ai mes meilleures idées. »
Pour le ramener les deux pieds sur terre, René-Pierre peut compter sur sa conjointe rencontrée sur les bancs des HEC, «ma plus belle fusion à vie», assure-t-il, et sur un groupe d’amis qui remonte pour certains jusqu’à l’enfance. «Tu ne peux pas conter de bullshit à ce monde-là.» Au-delà de sa garde rapprochée, c’est pour beaucoup sur son cercle professionnel qu’il peut s’appuyer. «Nous avons les mêmes partenaires financiers et conseillers depuis plus de 20 ans. Si je n’avais pas été bien entouré, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui.»
Peu importe son énergie ou son intelligence, un chef d’entreprise ne peut pas tout faire, être bon partout. «Nous avons des v-p et des directeurs généraux qui sont meilleurs que moi chacun dans leur domaine. Pourquoi j’irais mettre mon nez dans leurs affaires?»
Et si vous aviez un conseil à donner à un jeune entrepreneur? «De croire en lui. De se faire confiance et de faire confiance. De bien s’entourer aussi, autant en affaires qu’en amitié. Et puis, de foncer.»
Foncer. Jouer. Risquer. Personne ne sera surpris d’apprendre que le jour de notre rencontre, René-Pierre Roussel partait rouler avec une dizaine de cyclistes. «Pour sortir le méchant. Puis, c’est en vélo que j’ai mes meilleures idées.»
Et à voir le nombre de kilomètres qu’il engrange chaque année au compteur, ce n’est pas demain la veille qu’il sera à court d’idées.
Texte d’Hugo Léger
Malcom.one | Stratégie d’affaires